Paroles et traduction Bernard Lavilliers - Sax'Aphone

Sax'Aphone

La dernière fois que j'ai chanté dans cette salle, à la fin du concert
Y avait un type qui est venu jouer du saxophone alto avec moi
Ce type là s'appelait Eric Letourneu, c'était un vieux pote, un bon joueur de sax en plus
Et chaque soir que je chante cette chanson-là, que j'ai écrite depuis sa mort
Puisqu'il est mort d'overdose dans les chiottes d'un bistrot de la République le jour de Noël
Chaque fois, chaque fois que je chante cette chanson-là, je dédie tout le concert à lui
Et tous les concerts qu'on a fait depuis le début sont dédiés à Eric Letourneu
Eric Letourneu, cette chanson-là s'appelle Sax'aphone, et c'est dur de la chanter
Ta dernière note vibre encore
Et le matin jaunit change encore de décor
Ton sax désossé au rancart de la mort
Pousse un dernier soleil vers le sang du dehors
À force de chercher une vie essentielle
À force de souffler les bougies du réel
À force de tourner les cartes du possible
Le printemps a givré ta musique invisible
Où joues-tu maintenant?
Dans quel nuage rauque?
Envoies-tu tes chorus
Un peu rauque, un peu doux?
Dans quelle cave lointaine parleras-tu d'amour
Jusqu'au lever du jour?
Je n'y crois pas encore
C'est une fugue, un rien
T'es parti comme on sort
Tu vas téléphoner avec ta voix qui traîne?
Demander des nouvelles des petit poèmes
Qu'on écrivait ensemble dans nos nuits électriques
Tu es parti tout seul
Tu as coulé à pic
Et dans ta veine bleue
Cette aiguille glacée fait fleurir du dollar
Chez des dealers planqués
Je vais gueuler plus fort
Je vais gueuler encore
Que je hais ce bourrin, ce plastique et ce fer
Ce voyage truqué, ce remède de misère
Qui s'en va vers la mort
Papillons bleus et noirs découpés au couteau
Tournant dans les miroirs, dévorant les photos
Et mitant ma mémoire emportée par le vent
Glacé du désespoir, je te fais ce cadeau
À l'écriture fragile sur cette musique triste
Et belle du Brésil avec la voix cassée
Dérisoire, inutile qui ne réchauffe plus ton cœur entre tes cils
T'es parti une fois de trop
C'est difficile et tout sera classé
Au fond d'un fait divers, on dit que c'est fini
Que c'est déjà hier et on sort prendre l'air

Sax'Aphone

The last time I sang in this hall, at the end of the concert,
There was this guy who came up to play the alto saxophone with me.
His name was Eric Letourneu, an old friend, and a damn good sax player too.
And every night I sing this song, which I wrote after he died,
Because he died of an overdose in the bathroom of a bar near République on Christmas Day,
Every time, every time I sing this song, I dedicate the whole concert to him.
And all the concerts we've done since the beginning are dedicated to Eric Letourneu.
Eric Letourneu, this song is called Sax'aphone, and it's hard to sing.
Your last note still vibrates,
And the morning yellows, changing the scenery once more.
Your sax, disjointed, discarded in death's corner,
Pushes one last sunbeam towards the blood of the outside world.
By dint of searching for an essential life,
By dint of blowing out the candles of reality,
By dint of turning the cards of possibility,
Spring has frosted your invisible music.
Where do you play now?
In what hoarse cloud?
Do you send your choruses,
A little hoarse, a little sweet?
In what distant cellar will you speak of love
Until the break of day?
I still don't believe it,
It's a fugue, a trifle.
You left like someone just stepping out,
Will you call with your dragging voice?
Ask for news of the little poems
That we wrote together in our electric nights.
You left all alone,
You plummeted,
And in your blue vein,
That icy needle makes dollars bloom
For hidden dealers.
I will scream louder,
I will scream again,
That I hate this brute, this plastic and this iron,
This rigged journey, this remedy for misery
That leads to death.
Blue and black butterflies cut with a knife,
Spinning in the mirrors, devouring the photos,
And speckling my memory carried away by the wind.
Frozen with despair, I give you this gift,
With fragile writing on this sad music,
And beautiful from Brazil with a broken voice,
Derisory, useless, no longer warming your heart between your lashes.
You left one time too many,
It's difficult and everything will be classified
At the bottom of a news item, they say it's over,
That it's already yesterday and we go out to get some air.