Paroles et traduction Hubert Félix Thiéfaine - Les ombres du soir

Les ombres du soir

Elle dort au milieu des serpents
Sous la tonnelle près des marais
Les yeux au-delà des diamants
Qu'elle a incrustés dans ses plaies
Elle dit c'est pas St Augustin
Qui joue du violon dans les bois
Et Paganini encore moins
Ça semble étrange mais je la crois
J'ai rien entendu par ici
Depuis des siècles et ma mémoire
Au fil des brouillards et des nuits
Se perd dans les ombres du soir
Là-bas, plus loin coule une rivière
Qui nous sert de démarcation
Enfin je veux dire pendant les guerres
Quand on a une occupation
Les spectres des morts lumineux
Se promènent la nuit sous les saules
Et ceux qu'oublient de faire un voeu
En perdent soudain leur self contrôle
On les retrouve collés à la pluie
Depuis des siècles et ma mémoire
Au fil des brouillards et des nuits
Se perd dans les ombres du soir
J'ai vu pas mal de filles tomber
Souvent là-bas du haut du pont
Et faire semblant de se noyer
En chevauchant leurs illusions
Elle, elle me fixe tendrement
Elle caresse un aspic et dit
Rien vu de tel depuis longtemps
Oh non, rien de tel, mon ami
Pas vu de telles orgies ici
Depuis des siècles et ma mémoire
Au fil des brouillards et des nuits
Se perd dans les ombres du soir
Au souffle brumeux des vipères
Elle me montre du doigt la sphaigne
Où tritons, salamandres en guerre
Se battent au milieu des châtaignes
Tu sais déjà me murmure-t-elle
Qu'il faut séduire pour mieux détruire
Et dans un geste et des bruits d'ailes
Elle disparaît dans un sourire
Puis elle revient et me poursuit
Depuis des siècles et ma mémoire
Au fil des brouillards et des nuits
Se perd dans les ombres du soir
Oh elle joue avec ses serpents
Sous la tonnelle près des marais
Mais ses visions ne durent qu'un temps
Et le temps lui-même disparaît
Les heures se courbent dans l'espace
Et tournent autour d'un monde ancien
Où les lunes s'estompent et s'effacent
En glissant sur un flux sans fin
D'aucuns en cherchent la sortie
Depuis des siècles et ma mémoire
Au fil des brouillards et des nuits
Se perd dans les ombres du soir

The Evening Shadows

She sleeps amidst the serpents' coil,
Beneath the arbor, near the marsh's soil.
Her eyes gaze past the diamonds' gleam,
Embedded in her wounds, it would seem.
She claims it isn't Saint Augustine,
Who plays the violin in the wood's confine.
And Paganini even less,
It seems quite strange, but I acquiesce.
I've heard no sound in this domain,
For centuries, and my memory's strain,
Through mists and nights that intertwine,
Lost in the shadows of evening's decline.
Over there, a river gently flows,
Serving as a boundary, everyone knows.
At least, that is, during times of war,
When occupation we abhor.
Luminous spectres of the deceased,
Wander at night beneath willows, released.
And those who forget to make a plea,
Suddenly lose their self-mastery.
They're found clinging to the rain's embrace,
For centuries, and my memory's trace,
Through mists and nights that intertwine,
Lost in the shadows of evening's decline.
I've seen quite a few maidens fall,
Often over there, from the bridge so tall.
And pretend to drown in despair,
Riding their illusions, without a care.
She, she fixes her gaze on me with tenderness,
Caressing an asp, she confesses,
"Nothing like this I've seen in ages long past,"
"Oh no, nothing like this, my friend, it couldn't last."
Haven't witnessed such orgies in this place,
For centuries, and my memory's trace,
Through mists and nights that intertwine,
Lost in the shadows of evening's decline.
With the vipers' misty breath so near,
She points her finger at the sphagnum, clear,
Where newts and salamanders wage their war,
Amongst the chestnuts, forevermore.
"You already know," she whispers low,
"That one must seduce to destroy, you know."
And with a gesture and the sound of wings,
She vanishes in a smile, it sings.
Then she returns and chases me with glee,
For centuries, and my memory,
Through mists and nights that intertwine,
Lost in the shadows of evening's decline.
Oh, she plays with her serpents so sly,
Beneath the arbor, near the marsh nearby.
But her visions only last a while,
And time itself disappears in style.
The hours bend in the cosmic space,
And revolve around an ancient place,
Where moons fade and gently erase,
Gliding on an endless, flowing chase.
Some seek a way out of this maze,
For centuries, and my memory's haze,
Through mists and nights that intertwine,
Lost in the shadows of evening's decline.