Paroles et traduction Leo Ferré - Les Amants Tristes - Live - Olympia 11/72

Les Amants Tristes - Live - Olympia 11/72

Les amants tristes

On dit dans ton quartier que tu as froid aux yeux
Que t'y mets des fichus de bandes dessinées
Et que les gens te lisent un peu comme tu veux
Tu leur fais avaler tes monts et tes vallées

Tu es aux carrefours avec le rouge mis
On y attend du vert de tes vertes prairies
Alors que j'ai fauché ce matin dans ton lit
De quoi nourrir l'hiver et ma mélancolie

Mélancolie, mélancolie, la mer revient
Je t'attends sur le quai avec tes bateaux blêmes
Tes poissons d'argent bleu, tes paniers, ton destin
Et mes mouettes dans tes cris comme une traîne

Je connais une femme lubrique à Paris
Qui mange mes syllabes et me les rend indemnes
Avec de la musique autour qui me sourit
Demain je lui dirai des hiboux qui s'envolent

J'en connais dans leur nuit qui n'ont pas de fourrure
Qui crèvent doucement de froid sous l'antarctique
De cette négation d'aimer au bout de l'ombre
Mes oiseaux font de l'ombre en plein minuit néon
Sous les verts plébiscites

Tu connais une femme lubrique à Moscou
Qui mange tes syllabes et les met dans ton bortsch
Il connaît une femme lubrique à Pékin
Qui mange sa muraille et la donne au parti

Demain nous leur dirons des hiboux qui s'envolent
J'en connais dans leur nuit qui n'ont pas de jaquette
Qui crèvent doucement de froid sous leur casquette
Avec leurs beaux yeux d'or mêlés du Palomar, là-bas
Vers les voix de la nuit des étoiles perdues

J'entends des sons lointains qui cherchent des caresses
Et dans les faits divers là-bas ça s'exaspère
Et ça tue le chagrin comme on tue la flicaille
Au coin d'un vieux soleil exténué des glaces

Mélancolie, mélancolie la mer se calme
Je vois partout monter des filles et des palmes
Avec des fruits huilés dans la fente alanguie
Les matelots me font des signes de fortune
Ils se noient dans le sang du soleil descendant
Vers l'Ouest, toujours à l'Ouest, Western de carton-pâte

Le dentifrice dans la nuit se tient au rose
Un néon de misère emprunté à tes yeux
Viens, je t'emmènerai vers les grands astres
Dans le désastre du matin ou chez Renault
Voir comment l'on fabrique un chef et des autos
Voir la pitié grandir sur des croix qui s'enchristent

Je t'aimerai sur la chaussée et son collant
Ton goudron, j'y prendrai le suc de mes cavales
J'aurai l'air d'un roi nègre, tu mettras à la moelle
Où je glouglouterai repu ton sentiment

Ton sentiment a le goût de gazelle
Ton ventre n'est qu'un champ de lavande à midi
Et mon couteau qui crisse en y fauchant ma mie
Est d'un faucheur distrait qui s'éploie sous ton aile
Il est au féminin ton sentiment
Il est comme ces demoiselles qui en ont à revendre
Et qui le vendent bien

Ton sentiment me fait du bien
Aux voiles d'ange
Ton sentiment me fait du bien au sentiment
Et les fleurs du pavé poussent des cris étranges
Moi qui viens du pavé vers toi et me dressant
Et moi je ne te prends que ce que je te dois
Si je n'avais que du sentiment à t'filer
Il y a longtemps que tu m'aurais banni de ton fief, de ton cul
De ta loi, de tes langes
Il y a longtemps que tu te serais cassée

Mais tu m'as réveillé
Et tu nous as tirés de notre mort quotidienne
Et puis toi tu te meurs dans la rue à midi
Sous des flaupées de soleils mous
Et de ces mecs qui te prennent dans les mirettes
Et qui te mirent bien dans l'os

Des fois que leur labo pourrait leur rapporter subito
Ta dégaine grandeur naturliche
À la mesure de leur page
Des fois le soir ils te prendraient impunément
Ils s'empaquetteraient de toi
De ton devoir de grue

Comme dans un journal
Je te lis, je te plie, je te froisse et tu cries
Quand on froisse la soie
La forêt, sa copine, lui fait des cris de sœur
Lui fait des cris sublimes
La soie au crépuscule a des cris de velours
Dans des lits de parade
Dans ces feuilles d'automne
Des taches de rousseur sur la gueule des bois
Je te lis, je te plie, je te froisse et tu cries

Au fond t'es un journal
Tu t'en prendrais plutôt pour cinq colonnes
Chez toi le fait divers sonne comme un outrage
Tu es partout chez toi et même aux mots croisés
Tu m'y fais deviner les armes de ta voix
Je t'aime et verticalement c'est bien
Tu croises dans mes eaux quand je suis ton pirate
Je te lis, je te plie, je te froisse et tu cries

Quand je t'aurai bien lue, y compris les annonces
J'irai au marché aux poissons et t'envelopperai de moules vertes
Au fond t'es un journal mouillé
Avec ta robe imprimée en blanc et noir
Et tes paroles que personne ne pourra plus lire
Tu seras ma dernière nouvelle effacée sur le sable
Tu seras mienne pour la mort, je t'aime

Et même avec la fin du monde
La fin du monde abstraite où tout n'est que chiffré
Avec ces cœurs d'acier aux battements trichés
Avec ces poumons d'or dans les cages-ascenseurs
Où l'on se tient debout, où l'on se tient ailleurs

Tu vas descendre là pour t'entendre rêver
Même le rêve gueule à n'y pouvoir plus rien
Le silence est rempli du silence trop plein
Quand ça déborde on croit venue la fin des temps
De ces temps mesurés sur des machines obscènes
Où les minutes ont des cons qui se promènent
En se prenant pour l'éternité

Même avec la fin du monde
Je me démerderai pour que t'y voies que dalle
Que dalle c'est pas mal ça ne fait que passer
Ce rien qui prend ses aises aux week-ends de la mort
Quand les ballots y accélèrent leurs victimes
Enchâssée, enchristée, encollée à mon froc

Tu partiras là-bas vers des boutiques fantastiques
Vers le supermarché où l'on vend la paresse
Où l'on vend de la mort aussi quand on s'y laisse
Où l'on vend la fumée et le vent en paquet
Et l'on paie en sortant avec des sortilèges

L'instant
Il va fondre sur toi comme la foudre
À trois cent mille bornes à la seconde
Il n'aura plus le temps de s'attarder au feu rouge
Nous grillerons les feux d'alarme
Et ma pensée qui te devance

Regarde
Écoute bien le chant de cet enfant maudit
Que tu croiras ton mec et qui n'est qu'un mirage
Oublié par ma mère au fond d'une poubelle
Cette éternelle nuit
Bien se laver le cul c'est donc ça le désordre

Regarde-moi là dans mes yeux regarde il vient l'instant
Comme à l'automne les bandits jaunes
Qui font aux arbres des hold-up mordorés
Et tu vas t'envahir, et tu vas t'immerger
Et te coloniser

Tu es seule dans mes pattes
Comme un saxo gueulant des chants désespérés
Tes cris sont des violons des rues
Des flûtes de laiton
Et tu t'en fous
C'est là, il est là
Entends la mer qui te remonte dans la gueule
Et cette marée double au fond de tes yeux-feu
Dans le feu de tes yeux mon regard s'est éteint

Crie, crie, crie
Tu es moi, je suis toi
Comment t'appelles-tu
Tu t'appelles la nuit dans le ventre des filles
Et de ces filles qui roulent au bord de la mort lente
Tu t'appelles l'amour, tu es toutes les femmes
Tu es toi, tu es elles
Des Niagara vernis me tombent dans la gueule

Crie, crie, crie
Tu n'es plus là parce que tu es moi
Et que je suis ailleurs
Je et toi c'est tout comme
Et l'on s'en va mourir au club des nuits cassées

Qui donc réparera l'âme des amants tristes
Qui donc réparera l'âme des amants tristes
Qui donc réparera l'âme des amants tristes
Qui donc

The Sad Lovers - Live - Olympia 11/72

The Sad Lovers

They say in your neighborhood that your eyes are cold
That you fill them with comic book scraps
And that people read you just as you please
You make them swallow your mountains and valleys

You stand at crossroads with the red light on
They wait for the green of your green meadows
While this morning I reaped in your bed
Enough to feed the winter and my melancholy

Melancholy, melancholy, the sea returns
I wait for you on the dock with your pale boats
Your blue silver fish, your baskets, your destiny
And my seagulls in your cries like a train

I know a lustful woman in Paris
Who eats my syllables and returns them unscathed
With music around that smiles at me
Tomorrow I will tell her of owls taking flight

I know some in their night who have no fur
Who slowly die of cold under the Antarctic
From this denial of love at the end of the shadows
My birds cast shadows in the neon midnight
Under the green plebiscites

You know a lustful woman in Moscow
Who eats your syllables and puts them in your borscht
He knows a lustful woman in Beijing
Who eats his wall and gives it to the party

Tomorrow we will tell them of owls taking flight
I know some in their night who have no jacket
Who slowly die of cold under their caps
With their beautiful golden eyes mixed with Palomar, there
Towards the voices of the night of lost stars

I hear distant sounds seeking caresses
And in the news over there, it exasperates
And it kills sorrow like one kills the cops
At the corner of an old sun exhausted from the ice

Melancholy, melancholy, the sea calms down
I see girls and palms rising everywhere
With oiled fruits in the languid slit
The sailors make signs of fortune to me
They drown in the blood of the setting sun
Towards the West, always to the West, cardboard Western

Toothpaste in the night stands pink
A neon of misery borrowed from your eyes
Come, I will take you to the great stars
In the disaster of the morning or to Renault
To see how they make a boss and cars
To see pity grow on crosses that encrust

I will love you on the pavement and its tights
Your tar, I will take the sap of my escapades from it
I will look like a black king, you will put to the marrow
Where I will gurgle, satiated, your sentiment

Your sentiment has the taste of gazelle
Your belly is but a lavender field at noon
And my knife that creaks while reaping my crumb there
Is of a distracted reaper unfolding under your wing
It is feminine, your sentiment
It is like those young ladies who have plenty to spare
And who sell it well

Your sentiment does me good
To angel wings
Your sentiment does me good to the sentiment
And the flowers of the pavement grow strange cries
Me who comes from the pavement towards you and standing tall
And I only take from you what I owe you
If I only had sentiment to give you
You would have banished me from your fiefdom, from your ass, long ago
From your law, from your diapers
You would have broken away long ago

But you woke me up
And you pulled us from our daily death
And then you die in the street at noon
Under swathes of soft suns
And of those guys who take you in their sights
And who put you right in the bone

In case their lab could bring them back subito
Your natural grandeur
To the measure of their page
Sometimes in the evening they would take you with impunity
They would wrap themselves in you
In your duty as a crane

Like in a newspaper
I read you, I fold you, I crumple you and you cry
When one crumples silk
The forest, her friend, makes sisterly cries for her
Makes sublime cries for her
Silk at twilight has velvet cries
In parade beds
In these autumn leaves
Freckles on the face of the woods
I read you, I fold you, I crumple you and you cry

Deep down you're a newspaper
You'd rather take it for five columns
With you, the news sounds like an outrage
You are everywhere at home, even in the crossword puzzles
You make me guess the weapons of your voice
I love you and vertically it's good
You cross in my waters when I am your pirate
I read you, I fold you, I crumple you and you cry

When I have read you well, including the ads
I will go to the fish market and wrap you in green mussels
Deep down you're a wet newspaper
With your dress printed in black and white
And your words that no one will be able to read anymore
You will be my last news erased on the sand
You will be mine for death, I love you

And even with the end of the world
The abstract end of the world where everything is encrypted
With these steel hearts with cheated beats
With these golden lungs in elevator cages
Where we stand, where we stand elsewhere

You will go down there to hear yourself dream
Even the dream yells, unable to do anything anymore
The silence is filled with overflowing silence
When it overflows, we believe the end of time has come
Of these times measured on obscene machines
Where the minutes have idiots walking around
Taking themselves for eternity

Even with the end of the world
I'll make sure you don't see a damn thing
A damn thing is not bad, it just passes by
This nothing that takes its ease on the weekends of death
When the ballots accelerate their victims
Embedded, encrusted, glued to my pants

You will go there to fantastic shops
To the supermarket where laziness is sold
Where death is also sold when you let yourself go
Where smoke and wind are sold in packs
And you pay on the way out with spells

The moment
It will strike you like lightning
At three hundred thousand kilometers per second
It will no longer have time to linger at the red light
We will burn the alarm lights
And my thought that precedes you

Look
Listen carefully to the song of this cursed child
Whom you will believe to be your man and who is but a mirage
Forgotten by my mother at the bottom of a garbage can
This eternal night
Washing your ass well, so that's the disorder

Look at me there in my eyes look the moment is coming
Like in autumn the yellow bandits
Who make golden hold-ups on trees
And you will invade yourself, and you will immerse yourself
And colonize yourself

You are alone in my paws
Like a saxophone yelling desperate songs
Your cries are violins of the streets
Brass flutes
And you don't care
It's there, it's there
Hear the sea rising up in your mouth
And this double tide at the bottom of your fire-eyes
In the fire of your eyes my gaze has faded

Scream, scream, scream
You are me, I am you
What is your name
Your name is the night in the belly of girls
And of those girls who roll on the edge of slow death
Your name is love, you are all women
You are you, you are them
Varnished Niagaras fall into my mouth

Scream, scream, scream
You are no longer there because you are me
And that I am elsewhere
Me and you it's all the same
And we go to die at the club of broken nights

Who will repair the soul of the sad lovers
Who will repair the soul of the sad lovers
Who will repair the soul of the sad lovers
Who will