Paroles et traduction Leo Ferré - Les amants tristes

Les amants tristes

On dit dans ton quartier que tu as froid aux yeux
Que t′y mets des fichus de bandes dessinées
Et que les gens te lisent un peu comme tu veux
Tu leur fais avaler tes monts et tes vallées
Tu es aux carrefours avec le rouge mis
On y attend du vert de tes vertes prairies
Alors que j'ai fauché ce matin dans ton lit
De quoi nourrir l′hiver et ma mélancolie

Mélancolie, mélancolie la mer revient
Je t'attends sur le quai avec tes bateaux blêmes
Tes poissons d'argent bleu, tes paniers, ton destin
Et mes mouettes dans tes cris comme une traîne
Je connais une femme lubrique à Paris
Qui mange mes syllabes et me les rend indemnes
Avec de la musique autour qui me sourit

Demain, je lui dirai des hiboux qui s′envolent
J′en connais dans ma nuit qui n'ont pas de fourrure
Qui crèvent doucement de froid dans l′antarctique
De cette négation d'aimer au bout de l′ombre
Mes oiseaux font de l'ombre en plein minuit néon
Sous les verts plébiscites
Tu connais une femme lubrique à Moscou
Qui mange tes syllabes et les met dans ton bortsch
Il connaît une femme lubrique à Pékin
Qui mange sa muraille et la donne au Parti

Demain, nous leur dirons des hiboux qui s′envolent
J'en connais dans leur nuit qui n'ont plus de jaquette
Qui crèvent doucement de froid sous leur casquette
Avec leurs beaux yeux d′or mêlés du Palomar là-bas
Vers les voix de la nuit des étoiles perdues
J′entends des sons lointains qui cherchent des caresses
Et dans les faits divers là-bas ça s'exaspère
Et ça tue le chagrin comme on tue la flicaille
Au coin d′un vieux soleil exténué des glaces

Mélancolie, mélancolie la mer se calme
Je vois partout monter des filles et des palmes
Avec des fruits huilés dans la fente alanguie
Les matelots me font des signes de fortune
Ils se noient dans le sang du soleil descendant
Vers l'Ouest toujours à l′Ouest Western de carton-pâte
Le dentifrice dans la nuit se tient au rose
Un néon de misère emprunté à tes yeux
Viens je t'emmènerai là-bas vers les grands astres
Dans le désastre du matin ou chez Renault
Voir comment l′on fabrique un chef et des autos
Voir la pitié grandir sur des croix qui s'enchristent
Je t'aimerai sur la chaussée et son collant
Ton goudron, j′y prendrai le suc de mes cavales
J′aurai l'air d′un roi nègre tu mettras à la moelle
Où je glouglouterai repu ton sentiment

Ton sentiment a le goût de gazelle
Ton ventre n'est qu′un champ de lavande à midi
Et mon couteau qui crisse en y fauchant ma mie
Est d'un faucheur distrait qui s′éploie sous ton aile
Il est au féminin ton sentiment
Il est comme ces demoiselles qui en ont à revendre
Et qui le vendent bien
Ton sentiment me fait gonfler mes voiles d'ange
Ton sentiment me fait du bien au sentiment
Et les fleurs du pavé poussent des cris étranges
Moi qui viens du pavé vers toi et me dressant
Et moi je ne te prends que ce que je te dois
Si je n'avais que du sentiment à t′filer
Il y a bien longtemps que tu m′aurais banni
De ton fief, de ton cul, de ta loi, de tes langes
Il y a bien longtemps que tu te serais cassée

Mais tu m'as réveillé
Et tu nous as tirés de notre mort quotidienne
Et puis toi tu te meurs dans la rue à midi
Sous des floppées de soleils mous
Et de ces mecs qui te prennent dans leurs mirettes
Et qui te mirent bien dans l′os
Des fois que leur labo pourrait leur renvoyer subito
Ta dégaine grandeur naturliche
À la mesure de leur page
Des fois le soir ils te prendraient impunément
Ils s'empaquetteraient de toi
De ton devoir de grue, comme dans un journal

Au fond, t′es un journal
Je te lis, je te plie, je te froisse et tu cries
Quand on froisse la soie, la forêt sa copine
Lui fait des cris de sœur, lui fait des cris sublimes
La soie au crépuscule a des cris de velours
Dans des lits de parade
Dans ces feuilles d'automne
Des taches de rousseur sur la gueule des bois
Je te lis, je te plie, je te froisse et tu cries
Au fond t′es un journal
Tu t'en prendrais plutôt pour cinq colonnes
Chez toi le fait divers sonne comme un outrage
Tu es partout chez toi et même aux mots croisés
Tu m'y fais deviner les armes de ta voix
Je t′aime et verticalement c′est bien
Tu croises dans mes yeux quand je suis ton pirate
Je te lis, je te plie, je te froisse et tu cries
Quand je t'aurai bien lue y compris les annonces
J′irai au marché aux poissons
Et t'envelopperai de moules vertes

Au fond t′es un journal mouillé
Avec ta robe imprimée en blanc et noir
Et tes paroles que personne ne pourra plus lire
Tu seras ma dernière nouvelle effacée sur le sable
Tu seras mienne pour la mort, je t'aime, je t′aime
Et même avec la fin du monde
La fin du monde abstraite où tout n'est que chiffré
Avec ces cœurs d'acier et leurs battements chiffrés
Avec ces poumons d′or dans les cages-ascenseurs
Où l′on se tient debout, où l'on se tient ailleurs
Tu vas descendre là pour t′entendre rêver
Même le rêve gueule à n'y pouvoir plus rien
Le silence est rempli du silence trop plein
Quand ça déborde on croit venue la fin des temps
De ces temps mesurés sur des machines obscènes
Où les minutes ont des cons qui se promènent
En se prenant pour l′Éternité
Et même avec la fin du monde

Je me démerderai pour que t'y voies que dalle
Que dalle c′est pas mal ça ne fait que passer
Ce rien qui prend ses aises aux week-ends de la mort
Quand les ballots y accélèrent leurs victimes
Enchâssée, enchristée, encollée à mon froc
Tu partiras là-bas vers des boutiques fantastiques
Vers le supermarché où l'on vend la paresse
Où l'on vend de la mort aussi quand on s′y laisse
Où l′on vend la fumée et le vent en paquet
Et l'on paie en sortant avec des sortilèges
L′instant

Il va fondre sur toi comme la foudre
À trois cent mille bornes à la seconde
Il n'aura pas le temps de s′attarder au feu rouge
On grillera les feux d'alarme
Et ma pensée qui te devance et ma pensée qui devance
Regarde, regarde, regarde
Écoute bien le chant de cet enfant maudit
Que tu croiras ton mec et qui n′est qu'un mirage
Oublié par ma mère au fond d'une poubelle

Cette éternelle nuit
Bien se laver le cul, c′est donc ça le désordre
C′est bien ça le désordre
Regarde-moi là dans mes yeux, regarde, regarde, regarde il vient l'instant
Comme à l′automne les bandits jaunes
Qui font aux arbres des hold-up mordorés
Et tu vas t'envahir, et tu vas t′immerger, et te coloniser
Tu es seule, tu es seule, seule, seule dans mes pattes
Comme un saxo gueulant des chants désespérés, des chants désespérés
Tes cris, tes cris sont des violons des rues, des violons des rues
Des flûtes de laiton, des flûtes de laiton
Et tu t'en fous
C′est là, il est là
Entends la mer, entends la mer, entends la mer qui te remonte dans la gueule
Et cette marée double au fond de tes yeux-feu
Dans le feu de tes yeux mon regard s'est éteint
Dans le feu de tes yeux mon regard s'est éteint

Crie, crie, crie
Crie, crie
Tu es moi
Je c′est toi
Comment t′appelles-tu
Tu t'appelles la nuit dans le ventre des filles
De ces filles qui roulent au bord de la mort lente
Tu t′appelles l'amour, tu es toutes les femmes
Tu es toi, tu es elles
Des niagaras vernis me tombent dans la gueule
Des niagaras vernis me tombent dans la gueule
Crie, crie, allez crie
Crie, crie, crie

Tu n′es plus là parce que tu es moi
Et que je suis ailleurs
Je et toi, c'est tout comme
Et l′on s'en va mourir au club des nuits cassées
Je et toi, c'est tout comme
Et l′on s′en va mourir au club des nuits cassées
Qui donc réparera l'âme des amants tristes
Qui donc réparera l′âme des amants tristes
Qui donc réparera l'âme des amants tristes
Qui donc

The Sad Lovers

They say in your neighborhood that your eyes are cold
That you hide them behind comic book scarves
And that people read you just as you please
You make them swallow your mountains and valleys
You stand at crossroads with the red light on
They wait for the green of your green meadows
While this morning I reaped in your bed
Enough to nourish winter and my melancholy

Melancholy, melancholy, the sea returns
I wait for you on the dock with your pale boats
Your silver-blue fish, your baskets, your destiny
And my seagulls in your cries like a train
I know a lustful woman in Paris
Who eats my syllables and returns them unharmed
With music around that smiles at me

Tomorrow, I will tell her about the owls that fly away
I know some in my night who have no fur
Who slowly die of cold in the Antarctic
Of this denial to love at the end of the shadow
My birds cast shadows in the middle of the neon midnight
Under the green plebiscites
You know a lustful woman in Moscow
Who eats your syllables and puts them in your borscht
He knows a lustful woman in Beijing
Who eats her wall and gives it to the Party

Tomorrow, we will tell them about the owls that fly away
I know some in their night who no longer have jackets
Who slowly die of cold under their caps
With their beautiful golden eyes mixed with the Palomar over there
Towards the voices of the night of the lost stars
I hear distant sounds searching for caresses
And in the news over there, it gets exasperated
And it kills sorrow as one kills the cops
At the corner of an old sun exhausted by the ice

Melancholy, melancholy, the sea calms down
I see girls and palm trees rising everywhere
With oiled fruits in the languid slit
The sailors give me signs of fortune
They drown in the blood of the descending sun
Towards the West always to the West cardboard Western
The toothpaste in the night stands pink
A neon of misery borrowed from your eyes
Come, I will take you there towards the great stars
In the disaster of the morning or at Renault
To see how a boss and cars are made
To see pity grow on crosses that encrust
I will love you on the pavement and its tights
Your tar, I will take the sap of my escapes
I will look like a black king you will put to the marrow
Where I will gurgle satiated your feeling

Your feeling has the taste of gazelle
Your belly is just a lavender field at noon
And my knife that creaks while mowing my crumb
Is of a distracted reaper who unfolds under your wing
It is feminine, your feeling
It is like those young ladies who have plenty to spare
And who sell it well
Your feeling makes my angel sails swell
Your feeling does me good in feeling
And the flowers of the pavement make strange cries
I who come from the pavement towards you and rise up
And I only take from you what I owe you
If I only had feeling to give you
You would have banished me long ago
From your fief, your ass, your law, your diapers
You would have broken a long time ago

But you woke me up
And you pulled us out of our daily death
And then you die in the street at noon
Under flocks of soft suns
And of those guys who take you in their sights
And who aim you right in the bone
In case their lab could send them back subito
Your look grandeur naturliche
To the measure of their page
Sometimes in the evening they would take you with impunity
They would wrap themselves in you
Of your duty as a crane, as in a newspaper

Deep down, you're a newspaper
I read you, I fold you, I crumple you and you cry
When you crumple silk, the forest, her friend
Makes sisterly cries, makes sublime cries
Silk at dusk has velvet cries
In parade beds
In those autumn leaves
Freckles on the face of the woods
I read you, I fold you, I crumple you and you cry
Deep down you're a newspaper
You'd rather take it for five columns
In your home, the news sounds like an outrage
You are everywhere at home and even in crossword puzzles
You make me guess the weapons of your voice
I love you and vertically it's good
You cross in my eyes when I'm your pirate
I read you, I fold you, I crumple you and you cry
When I have read you well including the ads
I will go to the fish market
And wrap you in green mussels

Deep down you're a wet newspaper
With your dress printed in black and white
And your words that no one will be able to read anymore
You will be my last news erased on the sand
You will be mine for death, I love you, I love you
And even with the end of the world
The abstract end of the world where everything is only encrypted
With these steel hearts and their encrypted beats
With these golden lungs in elevator cages
Where we stand, where we stand elsewhere
You're going down there to hear yourself dream
Even the dream yells to the point of no return
The silence is filled with too much silence
When it overflows we believe the end of time has come
Of those times measured on obscene machines
Where the minutes have assholes walking around
Taking themselves for Eternity
And even with the end of the world

I'll manage to make you see nothing
Nothing is not bad, it just passes
This nothing that takes its ease on the weekends of death
When the ballots accelerate their victims
Embedded, encrusted, glued to my pants
You will go there towards fantastic shops
Towards the supermarket where laziness is sold
Where death is also sold when you let yourself go
Where smoke and wind are sold in packages
And you pay on the way out with spells
The moment

It will melt on you like lightning
At three hundred thousand kilometers per second
It won't have time to linger at the red light
We'll burn the alarm lights
And my thought that precedes you and my thought that precedes
Look, look, look
Listen carefully to the song of this cursed child
Whom you will believe to be your guy and who is only a mirage
Forgotten by my mother at the bottom of a trash can

This eternal night
Washing your ass well, so that's the disorder
That's the disorder
Look at me there in my eyes, look, look, look, here comes the moment
Like in autumn the yellow bandits
Who make golden hold-ups to the trees
And you will invade, and you will immerse, and colonize yourself
You are alone, you are alone, alone, alone in my paws
Like a sax yelling desperate songs, desperate songs
Your cries, your cries are street violins, street violins
Brass flutes, brass flutes
And you don't care
It's there, it's there
Hear the sea, hear the sea, hear the sea rising up in your mouth
And this double tide at the bottom of your fire-eyes
In the fire of your eyes my gaze has died out
In the fire of your eyes my gaze has died out

Scream, scream, scream
Scream, scream
You are me
I am you
What is your name
Your name is the night in the belly of girls
Of those girls who roll on the edge of slow death
Your name is love, you are all women
You are you, you are them
Varnished niagaras fall into my mouth
Varnished niagaras fall into my mouth
Scream, scream, come on scream
Scream, scream, scream

You are no longer there because you are me
And that I am elsewhere
Me and you, it's all the same
And we're going to die at the club of broken nights
Me and you, it's all the same
And we're going to die at the club of broken nights
Who will repair the soul of sad lovers
Who will repair the soul of sad lovers
Who will repair the soul of sad lovers
Who will