Paroles et traduction Leo Ferré - Poète Vos Papiers

Poète Vos Papiers

Bipède volupteur de lyre, époux châtré de Polymnie
Vérolé de lune à confire, grand-Duc bouillon des librairies
Maroufle à pendre à l'hexamètre, voyou décliné chez les Grecs
Albatros à chaîne et à guêtres, cigale qui claque du bec

Poète, vos papiers
Poète, vos papiers

J'ai bu du Waterman et j'ai bouffé Littré
Et je repousse du goulot de la syntaxe
À faire se pâmer les précieux à l'arrêt
La phrase m'a poussé au ventre comme un axe

J'ai fait un bail de 3-6-9 aux adjectifs
Qui viennent se dorer le mou à ma lanterne
Et j'ai joué au casino les subjonctifs
La chemise à Claudel et les cons dits "modernes"

Syndiqué de la solitude, museau qui dévore du couic
Sédentaire des longitudes, phosphaté des dieux chair à flic
Colis en souffrance à la veine, remords de la Légion d'honneur
Tumeur de la fonction urbaine, Don Quichotte du crève-cœur

Poète, vos papiers
Poète, papier

Le dictionnaire et le porto à découvert
Je débourre des mots à longueur de pelure
J'ai des idées au frais de côté pour l'hiver
À rimer le bifteck avec les engelures

Cependant que Tzara enfourche le bidet
À l'auberge dada la crotte est littéraire
Le vers est libre enfin et la rime en congé
On va pouvoir poétiser le prolétaire

Spécialiste de la mistoufle, émigrant qui pisse aux visas
Aventurier de la pantoufle, sous la table du Nirvana
Meurt-de-faim qui plane à la Une, écrivain public des croquants
Anonyme qui s'entribune à la barbe des continents

Poète, vos papiers
Poète, documenti

Littérature obscène inventée à la nuit
Onanisme torché au papier de Hollande
Il y a partouze à l'hémistiche mes amis
Et que m'importe alors Jean Genet que tu bandes

La poétique libérée c'est du bidon
Poète prends ton vers et fous-lui une trempe
Mets-lui les fers aux pieds et la rime au balcon
Et ta muse sera sapée comme une vamp

Citoyen qui sent de la tête, papa gâteau de l'alphabet
Maquereau de la clarinette, graine qui pousse des gibets
Châssis rouillé sous les démences, corridor pourri de l'ennui
Hygiéniste de la romance, rédempteur falot des lundi

Poète, vos papiers
Poète, salti

Que l'image soit rogue et l'épithète au poil
La césure sournoise certes mais correcte
Tu peux vêtir ta Muse ou la laisser à poil
L'important est ce que ton ventre lui injecte

Ses seins oblitérés par ton verbe arlequin
Gonfleront goulûment la voile aux devantures
Solidement gainée ta lyrique putain
Tu pourras la sortir dans la littérature

Ventre affamé qui tend l'oreille, maraudeur aux bras déployés
Pollen au rabais pour abeille, tête de mort rasée de frais
Rampant de service aux étoiles, pouacre qui fait dans le quatrain
Masturbé qui vide sa moelle à la devanture du coin, ah

Poète, ahah
Circulez poète, ahah
Circulez poète, ahah
Circulez, ahahah

Poet, Your Papers

Two-legged lyre lover, castrated husband of Polyhymnia
Moon-struck with candied syphilis, Grand Duke, bookstore broth
Scoundrel to hang by the hexameter, hooligan declined in Greek
Albatross in chains and gaiters, cicada that clicks its beak

Poet, your papers
Poet, your papers

I drank Waterman and devoured Littré
And I vomit from the bottleneck of syntax
Making the precious ones swoon at the bus stop
The sentence grew in my belly like a spindle

I signed a 3-6-9 lease with adjectives
Who come to bask in the warmth of my lantern
And I gambled subjunctives at the casino
With Claudel's shirt and the so-called "modern" fools

Unionized by solitude, snout that devours the booze
Sedentary of longitudes, phosphated by the gods, flesh for cops
Package stuck in the vein, remorse of the Legion of Honor
Tumor of the urban function, Don Quixote of heartbreak

Poet, your papers
Poet, papers

Dictionary and port wine overdrawn
I husk words along the length of a peel
I have ideas chilling for the winter
To rhyme steak with chilblains

Meanwhile Tzara mounts the bidet
At the Dada inn, the droppings are literary
The verse is finally free and the rhyme on leave
We'll be able to poeticize the proletarian

Mistletoe specialist, emigrant pissing on visas
Slipper adventurer, under the table of Nirvana
Starving man soaring on the front page, public writer for the peasants
Anonymous who rants to the beard of continents

Poet, your papers
Poet, documenti

Obscene literature invented at night
Onanism wiped on Holland paper
There's an orgy in the hemistich, my friends
And what do I care if Jean Genet makes you hard

Liberated poetry is a sham
Poet, take your verse and give it a temper
Put irons on its feet and rhyme on the balcony
And your muse will be dressed like a vamp

Citizen who smells from the head, alphabet daddy cake
Pimp of the clarinet, seed that sprouts gallows
Rusty frame under dementia, rotten corridor of boredom
Hygienist of romance, dim redeemer of Mondays

Poet, your papers
Poet, salti

Let the image be rogue and the epithet just right
The caesura sly, certainly, but correct
You can clothe your Muse or leave her naked
The important thing is what your belly injects into her

Her breasts obliterated by your harlequin verb
Will greedily inflate the sail on the storefronts
Solidly sheathed, your lyrical whore
You can take her out into literature

Hungry belly that strains its ear, marauder with arms outstretched
Discount pollen for bees, skull freshly shaved
Servile crawler to the stars, pauper who dabbles in quatrains
Masturbator who empties his marrow at the corner storefront, ah

Poet, ahah
Move along poet, ahah
Move along poet, ahah
Move along, ahahah