Paroles et traduction Leo Ferré - A toi

A toi

La forêt qui s'élance au ciel comme une verge
Les serments naufragés qui errent sur la berge
Les oiseaux dénoncés que le chasseur flamberge
Les diamants constellés qui fuient les pâles couches
Tous les yeux de la rue qui crèvent sur ta bouche
Le pavé que tu foules et ma voix que tu touches
Les amants accolée muets comme la cire
Les culottes des femmes où le monde se mire
Les fauves repentis qui rendent des martyrs
Le ventre des pendus qui coule des potences
Les noces pathétiques où les larmes sont rances
Les émigrants qui n'ont jamais de pain d'avance
Les mains transfigurées qui règlent la tzigane
Baudelaire et Shakespeare au chevet des profanes
Les chevaux condamnés et leur dernière avoine
La voix pour commander à mille couturières
Un lit avec le Parthénon comme litière
Le cathéchisme de la joie la vie entière
Des violons barrissant les complaintes futures
Des tonnes de crachat sur la Critiquature
Le vent du large et des bûchers pour les clôtures
Des langues pour parler aux Chinois faméliques
Des poumons pour souffler au ventre des phtisiques
Des javas pour brouiller les chants patriotiques
Le ruisseau qui jouit jusqu'au Havre sans trêve
Le malheureux le chien qui meurt l'homme qui crève
Le sang des femmes qui sont mortes sans un rêve
Les cheveux élagués qui cherchent des caresses
Le remords amical du prêtre qui confesse
Les yeux des tout-petits riboulant de tendresse
L'orgue de la nature au souffle de violettes
Les rendez-vous mystérieux sous la voilette
Le numéro que tu voulais à la roulette
Les portes de secours battant sur les étoiles
Les Vendredis des Robinsons des capitales
La boussole des veuves aveugles sous leur voile
Le vain espoir des mitraillés sous la mitraille
La poitrine qui bat sous les pâles médailles
Les jésus désertant le fruit de tes entrailles
Les dentelles flottant au nez de la misère
Le loup blessé à mort qu'on regarde se taire
Le chant du coq et le silence de saint Pierre
Les cÅâ urs déchiquetés qui parlent aux fantômes
Les gens de bien qui ont désintégré l'atome
Le Capital qui joue aux dés Notre Royaume
ET PUIS la majuscule ennui qui nous sclérose
Mon pauvre amour car nous pensons les mêmes choses
En attendant que l'Ange nous métamorphose...

To You

Forest that soars skyward like a rod
Wrecked oaths wandering on the bank
Denounced birds the hunter torches
Constellated diamonds fleeing pale layers
All the eyes of the street that burst on your mouth
The pavement you tread and my voice you touch
Lovers embraced mute as wax
Women's panties where the world is reflected
Repentant beasts who render martyrs
The belly of the hanged that flows from the gallows
Pathetic weddings where tears are rancid
Emigrants who never have bread in advance
Transfigured hands that regulate the gypsy
Baudelaire and Shakespeare at the bedside of the profane
Doomed horses and their last oats
The voice to command a thousand seamstresses
A bed with the Parthenon as a litter
The catechism of joy for the whole life
Violins barring future complaints
Tons of spit on the Criticism
The wind offshore and pyres for the fences
Tongues to speak to the starving Chinese
Lungs to blow into the belly of the phthisics
Javas to confuse patriotic songs
The stream that enjoys itself to Le Havre without respite
The unfortunate man, the dog that dies, the man who bursts
The blood of women who died without a dream
Pruned hair seeking caresses
The friendly remorse of the priest who confesses
The eyes of the little ones rioting with tenderness
The organ of nature with the breath of violets
The mysterious rendezvous under the veil
The number you wanted at roulette
The emergency doors beating on the stars
The Fridays of the Robinsons of the capitals
The compass of blind widows under their veil
The vain hope of those shot under machine gun fire
The chest that beats under pale medals
The Jesuses deserting the fruit of your entrails
Lace floating in the face of misery
The wolf wounded to death that we watch fall silent
The cock's crow and the silence of Saint Peter
The shattered hearts that speak to ghosts
The good people who have disintegrated the atom
The Capital that plays dice with Our Kingdom
AND THEN the capital letter boredom that scleroses us
My poor love because we think the same things
While waiting for the Angel to metamorphose us...