Paroles et traduction Richard Bohringer - Danse, Mendy

Danse, Mendy

Il y a le soir qui balance un coup de bonbon rose, derriere Grenoble.
Il y a les feux des bagnoles. Il y a de la musique américaine.
J'ai vu un cow-boy qui attendait son tour à Texaco.
Des hôtels à cent quarante balles avec des
Façades comme les cartes postales de Louisiane.
Mendy dans la lumière. Jean Ba Mendy dans la lumière.
Je t'admire. Toi et tout les boxeurs du monde.
Faut savoir qu'il y a de la souffrance
Là-dedans, un gros paquet de souffrance.
Boxeur. Terrassier. Mineur animal humain, pourtant.
Tous ces rêves d'urgence.
Tous ces gestes sans cesse répétés pour en faire le geste.
Le geste parfait.
Celui où tout le corps participe à ce seul geste
Fulgurant qui jaillira et mordra comme le serpent.
Avec une implacable logique. Une absence de sentiments.
L'autre, celui d'en face, c'est ton frère.
Ton adversaire de douleur, de bravoure.
Vous deux savez. Seuls dans la lumière.
Aller toujours plus vite.
Accrocher les lampions de la survie.
Se transformer en bûcheron.
Abattre l'arbre humain.
J'ai traversé le monde des saints. Vous êtes des saints.
J'écris pour les mêmes raisons que vous.
Sauf que moi, y'a que mon coeur qui a pris des coups.
J'ai vécu l'attente, mystique. L'effacement.
J'ai appris à respecter l'adversaire.
J'en ai vu pleurer dans l'ombre alors que leur
Fils venait de gagner. je crois en toi, Mendy.
Un jour tu m'as dit, je ne fais pas de la boxe pour donner des coups.
Je fais de la boxe pour les éviter.
Danse, Mendy, danse.
Swing mon frère. Mendy tout droit dans la lumière.
Les gamins se mordent la lèvre.
Voudraient bien que Mendy, l'archange noir, soit le champion ce soir.
Voudraient du bonheur.
Rêvent tous de devenir Mendy.
Ça sent le tabac et le bière.
Mendy, fais pas le con. Te jette pas dedans.
Réfléchis. Cherche bien le gars. P
Rends pas des coups à vouloir être le courage.
Peut-être bien que si la vie t'avait donné que
Du bon, tu serais pas entre les cordes ce soir.
Angel émerge de l'ombre.
A la frontière de la lumière du projecteur.
Observation lointaine de l'adversaire.
Gros plan sur le regard.
Il t'a vu. Il t'a vu et je te jure,
D'un seul coup, il s'est rendu compte
Que tout ce qu'on lui avait dit dans les
Vestiaires et ailleurs, c'était du bidon.
Il a vu que t'étais pas fini du tout,
Que t'avais peut-être jamais été aussi bon,
Que c'étaient des conneries de tous ces
Enfoirés qui se prenaient de la fraîche sur son dos,
Que Mendy tout droit dans la lumière, immobile là-haut sur le ring,
Il était affûté comme un champion.
La foule.
Là-haut, dans les projos,
Vos deux regards l'un dans l'autre. Absents de tout autre projet.
Houari l'entraîneur. En survêt sous les projos.
Il enjambe les cordes. Sort des projos.
Y'a plus que toi, Mendy. Et lui. L'indestructible.
Celui qui prie à genoux dans son coin
T'imagines, Mendy,
Que ce soir il est pas venu pour te servir de sparring-partner.
Il veut te la piquer ta couronne.
Il veut retourner chez lui champion.
Il pense à cette foutu couronne. Il pense à sa femme, à ses petits.
Vite peut-être une vie meilleure.
Y'a l'arbitre. Il ne servira qu'à vous décoller, épuisés, à v
Ous accrocher l'un à l'autre pour souffler. Misérables secondes.
Fausses éternités.
On s'est croisés du regard.
T'étais déjà ailleurs.
Gong, on lâche la vapeur. La foule pousse ses champions.
Buveurs de bière. Faut savoir attendre.
Laisser passer les coups qu'arrivent gros plan, vitesse T.G.V.
Faut pas avoir le pied mal posé.
Faut pas avoir le mal de mer.
Faut éviter le coup qui visse, qui vrille,
Qui te laisse ouvert, le temps que l'autre t'achève.
Plus près dans les lumières, p
Erdus dans les premiers rangs,
Les anciens cogneurs sont là. Attentifs.
Bûcherons pensifs. Les coudes sur les genoux. La tête dans les mains.
Tous ces coups, toute cette sueur de douleur,
Tous ces kilomètres dans une
Caisse, à rêver qu'on deviendra champion.
Qu'on aura une vie normale. Putain, Paulo, le courage qu'il faut!
Y'a qu'à la télé que ça cogne au ralenti.
Y'a des banderoles avec ton nom Mendy.
Y'a toute l'Afrique des banlieus qui a le coeur qui bat.
Dis, Mendy,
Si tu deviens champion du monde,
On retournera là-bas? À Saint Louis.
On ouvrira un maquis. Promets Mendy.
Ils se sont flingués en pleine lumière,
Siècle après siècle, cloche après cloche. Coeur en avant.
Plus là. À eux. À eux seulement. A
Pousser tout le corps dans le poing sans basculer.
T'as dansé et lui suivait en avançant.
Avec tes cannes d'enfer, faut être une gazelle pour danser avec toi.
"Je danse pas,
Mais je reste dans la lumière et
J'avance, Mendy, j'avance, je te jure.
T'es balèze mais je vais trouver le truc.
"T'entends, Mendy, moi aussi, je suis un champion.
"Tu me fais mal,
Mais faut que je rentre à la maison avec cette foutue couronne.
Mendy, malgré tous tes coups, je pense encore.
Je suis pas sonné. Mais j'ai mal. J'ai mal nom de Dieu.
"Je me suis pété la main sur toi. Mais je te lâcherai pas, Mendy."
Mendy, c'était pas sûr que tu gagnes. J
'Ai eu peur pour toi. Angel, il a été jusqu'au bout.
Toi t'as repris la main.
Je l'ai vu à ta gauche que tu as laissée tomber le long du corps
Comme les chats quand ils ont la distance.
Mendy danse. Angel avance. Corps à corps.
Souffrance. Ta droite jaillit comme un trait.
Angel tremble.
Ton pas en arrière pour laisser Angel récupérer.
C'est bien toi, Mendy!
Sûr que des gars qui laissent
Souffler l'adversaire, ça court pas la vie.
La foule explose. Electrique.
Une femme se mord la lèvre. Pas de plaisir.
Houari, derrière les cordes, concentré.
Toujours le même conseil. "Te jette pas petit!
Te jette pas! Ajuste! Te jette pas!
Laisse venir! Te bas pas! Pas tout de suite!"
On sait que t'es fier.
Que t'aimes quand c'est beau. Ça te fait prendre des risques.
Tout ça dans les lumières, les acclamations, le sang et la sueur.
Les anciens hochent la tête. Bon signe.
Connaisseurs.
La déglingue du public qui demande la
Mort. Un vieux lève la tête vers les connards.
En colère le vieux. Honteux pour eux. Trop de souffrance.
J'attends au vestiaire. Des balèzes gardent les couloirs.
Mobilier sommaire,
Toujours genre garde-à-vue. La douche est chaude, c'est toujours ça.
La peinture des murs est pas neuve.
Enfin les serviettes sont blanches, ça donne le change.
Faut retirer les gants. Doucement.
Faut défaire les bandelettes autour des mains.
Faut défaire la sculpture.
Faut tendre les doigts libérés. Tendre la main.
Ouvrir lentement la paume.
Après tu mets la tête en arrière contre le mur.
Hé boxeur! Tu revois le combat?
Houari boucle son sac.
Il refuse le champagne. Il ne boit que de l'eau.
Faut qu'il prenne le dernier train.
Y'a les frères, les cousines, les cousins.
Ils ont fait le chemin de vachement loin pour être là.
Demain, c'est le boulot. Faut aller au dodo.
On s'embrasse. On se serre la main. Photo.
Pas bidon. Y'a de la chaleur.
Y'a de l'amour et puis un peu de bonheur.
Houari a dit tchao, le sac sur le dos.
Je veux que tu sois champion du monde Mendy. Tout le temps.
Moi j'en ai marre de mon coeur qui tout le camp.
A cent quarante sous les cordes de la
Sueur. Je veux qu'on soit amis toute la vie.
Je veux qu'on vive vieux.
Qu'avec des blessures de l'âme.
Je veux que plus tard,
Au hasard sous un hangar,
Au bout du quai, on entende la voix de Houari.
"Te jette pas petit! Danse comme Mendy!"
Cette nuit je marche à côté de toi, champion.
Au milieu de l'avenue. À Levallois.
Quand j'étais môme, c'est drôle, je passais toujours là.
C'étaient des bistrots,
Des calanques de terre ferme,
Des rues tranquilles avec des bagnoles sans roues
Qui continueront à se faire désosser selon les besoins.
Des terrains vagues, des potagers,
Le lopin, la petite baraque avec les outils.
D'un côté Paris, e
T de l'autre un bras de Seine avec des péniches qui
Filent vers le centre de la terre, vers les rivières.
Les lumières de la ville neuve éclaboussent la nuit sous la pluie.
Hey, roule, le train, t'occupes pas des signaux. Fonce tout droit.
Traverse-moi l'âme. Bouleverse-moi. Tout est beau dans ma mémoire.
J'ai fait pousser des fleurs sur la merde.
Vivre. Comme l'océan au milieu des bruissements.
File, le train. File sur l'eau sous le soleil cicatrice d'argent.
Hey Mendy!
Quand tu seras champion du monde, promets qu'on se barre là-bas.
On ouvrira un petit maquis. Là-bas.
A Saint Louis.

Dance, Mendy

There's the evening, swaying a touch of pink candy, behind Grenoble.
There are the lights of the cars. There's American music.
I saw a cowboy waiting his turn at Texaco.
Hotels for a hundred and forty bucks with
Facades like postcards from Louisiana.
Mendy in the light. Jean Ba Mendy in the light.
I admire you. You and all the boxers in the world.
You have to know there's suffering
In there, a whole lot of suffering.
Boxer. Laborer. Miner. A human animal, still.
All those urgent dreams.
All those gestures, endlessly repeated to make it the gesture.
The perfect gesture.
The one where the whole body participates in this single gesture
Blazing, that will spring and bite like a snake.
With an implacable logic. An absence of feelings.
The other, the one facing you, is your brother.
Your opponent in pain, in bravery.
You two know. Alone in the light.
Always go faster.
Hang the lanterns of survival.
Transform into a lumberjack.
Cut down the human tree.
I have crossed the world of saints. You are saints.
I write for the same reasons as you.
Except for me, it's only my heart that has taken the hits.
I lived the mystical wait. The erasure.
I learned to respect the opponent.
I've seen some cry in the shadows while their
Son had just won. I believe in you, Mendy.
One day you told me, I don't box to give punches.
I box to avoid them.
Dance, Mendy, dance.
Swing, my brother. Mendy, straight into the light.
The kids bite their lips.
They'd like Mendy, the black archangel, to be the champion tonight.
They want happiness.
They all dream of becoming Mendy.
It smells of tobacco and beer.
Mendy, don't be stupid. Don't throw yourself into it.
Think. Look for the guy. Don't
Give blows trying to be courage.
Maybe if life had given you only
Good things, you wouldn't be between the ropes tonight.
Angel emerges from the shadows.
At the border of the spotlight.
Distant observation of the opponent.
Close-up on the gaze.
He saw you. He saw you and I swear,
Suddenly, he realized
That everything they had told him in the
Locker room and elsewhere was bullshit.
He saw that you weren't finished at all,
That you'd maybe never been so good,
That it was all crap from all those
Bastards who were having a good time at his expense,
That Mendy, straight into the light, motionless up there in the ring,
He was sharp as a champion.
The crowd.
Up there, in the spotlights,
Your two gazes into each other. Absent from any other project.
Houari the coach. In a tracksuit under the spotlights.
He steps over the ropes. Out of the spotlights.
There's only you, Mendy. And him. The indestructible one.
The one who prays on his knees in his corner
Imagine, Mendy,
That tonight he didn't come to be your sparring partner.
He wants to steal your crown.
He wants to go home a champion.
He thinks about that damn crown. He thinks about his wife, his kids.
Maybe a better life soon.
There's the referee. He'll only serve to separate you, exhausted, to
Hang onto each other to catch your breath. Miserable seconds.
False eternities.
We crossed glances.
You were already elsewhere.
Gong, we let off steam. The crowd pushes their champions.
Beer drinkers. You have to know how to wait.
Let the blows pass that arrive in close-up, TGV speed.
You can't have your foot badly placed.
You can't have seasickness.
You have to avoid the blow that screws, that spins,
That leaves you open, the time for the other to finish you off.
Closer in the lights, lost
In the front rows,
The old hitters are there. Attentive.
Pensive lumberjacks. Elbows on knees. Heads in hands.
All those blows, all that sweat of pain,
All those miles in a
Car, dreaming of becoming a champion.
That we'll have a normal life. Damn, Paulo, the courage it takes!
It's only on TV that it hits in slow motion.
There are banners with your name, Mendy.
There's all the Africa of the suburbs with its heart beating.
Say, Mendy,
If you become world champion,
Will we go back there? To Saint Louis.
We'll open a small bar. Promise, Mendy.
They shot each other in broad daylight,
Century after century, bell after bell. Heart forward.
No longer here. To themselves. To themselves only. Pushing
The whole body into the fist without tipping over.
You danced and he followed, advancing.
With your hellish legs, you have to be a gazelle to dance with you.
"I don't dance,
But I stay in the light and
I'm coming, Mendy, I'm coming, I swear.
You're strong, but I'll find the trick."
"You hear, Mendy, I'm a champion too."
"You're hurting me,
But I have to go home with that damn crown.
Mendy, despite all your blows, I still think.
I'm not knocked out. But I'm hurting. I'm hurting, damn it."
"I broke my hand on you. But I won't let you go, Mendy."
Mendy, it wasn't sure you'd win. I was
Scared for you. Angel, he went all the way.
You took control again.
I saw on your left that you let it fall along your body
Like cats when they have the distance.
Mendy dances. Angel advances. Body to body.
Suffering. Your right shoots out like an arrow.
Angel trembles.
Your step back to let Angel recover.
That's you, Mendy!
Sure, guys who let
The opponent breathe, they don't run life.
The crowd explodes. Electric.
A woman bites her lip. No pleasure.
Houari, behind the ropes, concentrated.
Always the same advice. "Don't throw yourself in, little one!
Don't throw yourself in! Adjust! Don't throw yourself in!
Let it come! Don't fight! Not yet!"
We know you're proud.
That you like it when it's beautiful. It makes you take risks.
All this in the lights, the cheers, the blood and the sweat.
The old ones nod their heads. Good sign.
Connoisseurs.
The public's trashing asking for
Death. An old man raises his head towards the assholes.
Angry, the old man. Ashamed for them. Too much suffering.
I wait in the locker room. Big guys guard the corridors.
Basic furniture,
Always like a police cell. The shower is hot, that's always something.
The paint on the walls isn't new.
At least the towels are white, it makes a change.
You have to take off the gloves. Gently.
You have to undo the bandages around your hands.
You have to undo the sculpture.
You have to stretch out your liberated fingers. Reach out.
Slowly open your palm.
Then you put your head back against the wall.
Hey boxer! Do you see the fight again?
Houari buckles his bag.
He refuses the champagne. He only drinks water.
He has to catch the last train.
There are the brothers, the cousins.
They came a long way to be there.
Tomorrow, it's work. We have to go to sleep.
We kiss. We shake hands. Photo.
Not fake. There's warmth.
There's love and then a little bit of happiness.
Houari said goodbye, bag on his back.
I want you to be world champion, Mendy. All the time.
Me, I'm tired of my heart beating all over the place.
At a hundred and forty under the ropes of
Sweat. I want us to be friends for life.
I want us to live to be old.
Only with wounds of the soul.
I want that later,
By chance under a shed,
At the end of the wharf, we hear Houari's voice.
"Don't throw yourself in, little one! Dance like Mendy!"
Tonight I walk beside you, champion.
In the middle of the avenue. In Levallois.
When I was a kid, it's funny, I always used to pass by here.
There were bistros,
Landlocked creeks,
Quiet streets with cars without wheels
That will continue to be stripped according to needs.
Wastelands, vegetable gardens,
The plot of land, the small shack with the tools.
On one side Paris, and
On the other an arm of the Seine with barges that
Head towards the center of the earth, towards the rivers.
The lights of the new city splash the night under the rain.
Hey, roll, train, don't worry about the signals. Go straight ahead.
Cross my soul. Upset me. Everything is beautiful in my memory.
I made flowers grow on shit.
Live. Like the ocean amidst the rustling.
Go, train. Go on the water under the silver scar sun.
Hey Mendy!
When you're world champion, promise we'll go there.
We'll open a small bar. Over there.
In Saint Louis.