Текст песни Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France - Bernard Lavilliers
Blaise
Cendrars
La
Prose
du
Transsibérien
et
de
la
petite
Jehanne
de
France
En
ce
temps-là
j′étais
en
mon
adolescence
J'avais
à
peine
seize
ans
et
je
ne
me
souvenais
Déjà
plus
de
mon
enfance
J′étais
à
seize
mille
lieues
du
lieu
de
ma
naissance
J'étais
à
Moscou,
dans
la
ville
des
mille
et
trois
Clochers
et
des
sept
gares
Et
je
n'avais
pas
assez
des
sept
gares
et
des
mille
Et
trois
tours
Car
mon
adolescence
était
si
ardente
et
si
folle
Que
mon
cœur,
tour
à
tour,
brûlait
Comme
le
temple
d′
Éphèse
ou
comme
la
Place
Rouge
De
Moscou
quand
le
soleil
se
couche.
Et
mes
yeux
éclairaient
des
voies
anciennes.
Et
j′étais
déjà
si
mauvais
poète
Que
je
ne
savais
pas
aller
jusqu'au
bout.
Le
Kremlin
était
comme
un
immense
gâteau
tartare
Croustillé
d′or,
avec
les
grandes
amandes
Des
cathédrales
toutes
blanches
Et
l'or
mielleux
des
cloches...
Un
vieux
moine
me
lisait
la
légende
de
Novgorode
J′avais
soif
et
je
déchiffrais
des
caractères
cunéiformes
Puis,
tout
à
coup,
les
pigeons
du
Saint
Esprit
S'envolaient
sur
la
place
Et
mes
mains
s′envolaient
aussi,
avec
des
bruissements
d'albatros
Et
ceci,
c'était
les
dernières
réminiscences
du
dernier
jour
Du
tout
dernier
voyage
Et
de
la
mer.
Pourtant,
j′étais
fort
mauvais
poète.
Je
ne
savais
pas
aller
jusqu′au
bout.
J'avais
faim
Et
tous
les
jours
et
toutes
les
femmes
dans
les
cafés
Et
tous
les
verres
J′aurais
voulu
les
boire
et
les
casser
Et
toutes
les
vitrines
et
toutes
les
rues
Et
toutes
les
maisons
et
toutes
les
vies
Et
toutes
les
roues
des
fiacres
qui
tournaient
en
tourbillon
Sur
les
mauvais
pavés
J'aurais
voulu
les
plonger
dans
une
fournaise
de
glaives
Et
j′aurais
voulu
broyer
tous
les
os
Et
arracher
toutes
les
langues
Et
liquéfier
tous
ces
grands
corps
étranges
et
nus
Sous
les
vêtements
qui
m'affolent...
Je
pressentais
la
venue
du
grand
Christ
rouge
De
la
révolution
russe...
Et
le
soleil
était
une
mauvaise
plaie
Qui
s′ouvrait
comme
un
brasier.
En
ce
temps-là
j'étais
en
mon
adolescence
J'avais
à
peine
seize
ans
et
je
ne
me
souvenais
Déjà
plus
de
ma
naissance
J′étais
à
Moscou,
où
je
voulais
me
nourrir
de
flammes
Et
je
n′avais
pas
assez
des
tours
et
des
gares
Que
constellaient
mes
yeux
En
Sibérie
tonnait
le
canon,
c'était
la
guerre
La
faim
le
froid
la
peste
le
choléra
Et
les
eaux
limoneuses
de
l′Amour
Charriaient
des
millions
de
charognes
Dans
toutes
les
gares
je
voyais
partir
les
derniers
trains
Personne
ne
pouvait
plus
partir
car
on
ne
délivrait
plus
de
billets
Et
les
soldats
qui
s'en
allaient
auraient
bien
voulu
rester...
Un
vieux
moine
me
chantait
la
légende
de
Novgorode.
Moi,
le
mauvais
poète,
qui
ne
voulais
aller
nulle
part,
Je
pouvais
aller
partout
Et
aussi
les
marchands
avaient
encore
assez
d′argent
Pour
aller
tenter
faire
fortune.
Leur
train
partait
tous
les
vendredis
matin.
On
disait
qu'il
y
avait
beaucoup
de
morts.
L′un
emportait
cent
caisses
de
réveils
et
de
coucous
De
la
Forêt-Noire
Un
autre,
des
boîtes
à
chapeaux,
des
cylindres
Et
un
assortiment
de
tire-bouchons
de
Sheffield
Un
autre,
des
cercueils
de
Malmoë
remplis
de
boîtes
de
conserve
Et
de
sardines
à
l'huile
Puis
il
y
avait
beaucoup
de
femmes
Des
femmes,
des
entre-jambes
à
louer
qui
pouvaient
aussi
servir
Des
cercueils
Elles
étaient
toutes
patentées
On
disait
qu'il
y
avait
beaucoup
de
morts
là-bas
Elles
voyageaient
à
prix
réduits
Et
avaient
toutes
un
compte-courant
à
la
banque.
Or,
un
vendredi
matin,
ce
fut
enfin
mon
tour
On
était
en
décembre
Et
je
partis
moi
aussi
pour
accompagner
le
voyageur
En
bijouterie
qui
se
rendait
à
Karbine
Nous
avions
deux
coupés
dans
l′express
et
trente
quatre
coffres
De
joaillerie
de
Pforzheim
De
la
camelote
allemande
"Made
in
Germany"
Il
m′avait
habillé
de
neuf,
et
en
montant
dans
le
train
J'avais
perdu
un
bouton
Je
m′en
souviens,
je
m'en
souviens,
j′y
ai
souvent
pensé
depuis
Je
couchais
sur
les
coffres
et
j'étais
tout
heureux
de
pouvoir
jouer
Avec
le
browning
nickelé
qu′il
m'avait
aussi
donné
J'étais
très
heureux
Insouciant
Je
croyais
jouer
aux
brigands
Nous
avions
volé
le
trésor
de
Golconde
et
nous
allions,
Grâce
au
transsibérien,
le
cacher
de
l′autre
côté
du
monde
Je
devais
le
défendre
contre
les
voleurs
de
l′Oural
qui
avaient
attaqué
Les
saltimbanques
de
Jules
Verne
Contre
les
khoungouzes,
les
boxers
de
la
Chine
Et
les
enragés
petits
mongols
du
Grand-Lama
Alibaba
et
les
quarante
voleurs
Et
les
fidèles
du
terrible
Vieux
de
la
montagne
Et
surtout,
contre
les
plus
modernes
Les
rats
d'hôtel
Et
les
spécialistes
des
express
internationaux.
Et
pourtant,
et
pourtant
J′étais
triste
comme
un
enfant
Les
rythmes
du
train
La
"moëlle
chemin-de-fer"
des
psychiatres
américains
Le
bruit
des
portes,
des
voies,
des
essieux
grinçant
Sur
les
rails
congelés
Le
ferlin
d'or
de
mon
avenir
Mon
browning,
le
piano
et
les
jurons
des
joueurs
de
cartes
Dans
le
compartiment
d′à
côté
L'épatante
présence
de
Jeanne
L′homme
aux
lunettes
bleues
qui
se
promenait
nerveusement
Dans
le
couloir
et
qui
me
regardait
en
passant
Froissis
de
femmes
Et
le
sifflement
de
la
vapeur
Et
le
bruit
éternel
des
roues
en
folie
dans
les
ornières
du
ciel
Les
vitres
sont
givrées
Pas
de
nature!
Et
derrière,
les
plaines
sibériennes,
le
ciel
bas
et
les
grandes
ombres
Des
Taciturnes
qui
montent
et
qui
descendent
Je
suis
couché
dans
un
plaid
Bariolé
Comme
ma
vie
Et
ma
vie
ne
me
tient
pas
plus
chaud
que
ce
châle
écossais
Et
l'Europe
tout
entière
aperçue
au
coupe-vent
D'un
express
à
toute
vapeur
N′est
pas
plus
riche
que
ma
vie
Ma
pauvre
vie
Ce
châle
Effiloché
sur
des
coffres
remplis
d′or
Avec
lesquels
je
roule
Que
je
rêve
Que
je
fume
Et
la
seule
flamme
de
l'univers
Est
une
pauvre
pensée...
Du
fond
de
mon
cœur
des
larmes
me
viennent
Si
je
pense,
Amour,
à
ma
maîtresse;
Elle
n′est
qu'une
enfant,
que
je
trouvai
ainsi
Pâle,
immaculée,
au
fond
d′un
bordel.
Ce
n'est
qu′une
enfant,
blonde,
rieuse
et
triste,
Elle
ne
sourit
pas
et
ne
pleure
jamais;
Mais
au
fond
de
ses
yeux,
quand
elle
vous
y
laisse
boire,
Tremble
un
doux
lys
d'argent,
la
fleur
du
poète.
Elle
est
douce
et
muette,
sans
aucun
reproche,
Avec
un
long
tressaillement
à
votre
approche;
Mais
quand
moi
je
lui
viens,
de-ci,
de-là,
de
fête,
Elle
fait
un
pas,
puis
ferme
les
yeux
Et
fait
un
pas.
Car
elle
est
mon
amour,
et
les
autres
femmes
N'ont
que
des
robes
d′or
sur
de
grands
corps
de
flammes,
Ma
pauvre
amie
est
si
esseulée,
Elle
est
toute
nue,
n′a
pas
de
corps
Elle
est
trop
pauvre.
Elle
n'est
qu′une
fleure
candide,
fluette,
La
fleur
du
poète,
un
pauvre
lys
d'argent,
Tout
froid,
tout
seul,
et
déjà
si
fané
Que
les
larmes
me
viennent
si
je
pense
à
son
cœur.
Et
cette
nuit
est
pareille
à
cent
mille
autres
Quand
un
train
file
dans
la
nuit
- Les
comètes
tombent
-
Et
que
l′homme
et
la
femme,
même
jeunes,
s'amusent
à
faire
l′amour.
Le
ciel
est
comme
la
tente
déchirée
d'un
cirque
pauvre
Dans
un
petit
village
de
pêcheurs
En
Flandres
Le
soleil
est
un
fumeux
quinquet
Et
tout
au
haut
d'un
trapèze
une
femme
fait
la
lune.
La
clarinette,
le
piston,
une
flûte
aigre
et
un
mauvais
tambour
Et
voici
mon
berceau
Mon
berceau
Il
était
toujours
près
du
piano
quand
ma
mère
comme
Madame
Bovary
Jouait
les
sonates
de
Beethoven
J′ai
passé
mon
enfance
dans
les
jardins
suspendus
de
Babylone
Et
l′école
buissonnière,
dans
les
gares
devant
les
trains
en
partance
Maintenant,
j'ai
fait
courir
tous
les
trains
derrière
moi:
Bâle-Tombouctou
J′ai
aussi
joué
aux
courses
à
Auteuil
et
à
Longchamp
Paris-New
York
Maintenant,
j'ai
fait
courir
tous
les
trains
tout
le
long
de
ma
vie
Madrid-Stockholm
Et
j′ai
perdu
tous
mes
paris
Il
n'y
a
plus
que
la
Patagonie,
La
Patagonie,
qui
convienne
à
mon
immense
tristesse,
La
Patagonie,
et
un
voyage
dans
les
mers
du
Sud
Je
suis
en
route.
J′ai
toujours
été
en
route
Je
suis
en
route
avec
la
petite
Jehanne
de
France
Le
train
fait
un
saut
périlleux
et
retombe
sur
toutes
ses
roues
Le
train
retombe
sur
ses
roues
Le
train
retombe
toujours
sur
toutes
ses
roues.
"Blaise,
dis,
sommes-nous
bien
loin
de
Montmartre?"
Nous
sommes
loin
Jeanne,
tu
roules
depuis
sept
jours
Tu
es
loin
de
Montmartre,
de
la
butte
qui
t'a
nourrie,
Du
Sacré-Cœur
contre
lequel
tu
t'es
blottie
Paris
a
disparu
et
son
énorme
flambée
Il
n′y
a
plus
que
les
cendres
continues
La
pluie
qui
tombe
La
tourbe
qui
se
gonfle
La
Sibérie
qui
tourne
Les
lourdes
nappes
de
neige
qui
remontent
Et
le
grelot
de
la
folie
qui
grelotte
comme
un
dernier
Désir
dans
l′air
bleui
Le
train
palpite
au
cœur
des
horizons
plombés
Et
ton
chagrin
ricane...
"Dis,
Blaise,
sommes-nous
bien
loin
de
Montmartre?"
Les
inqiétudes
Oublie
les
inquiétudes
Toutes
les
gares
lézardées
obliques
sur
la
route
Les
fils
télégraphiques
auxquels
elles
pendent
Les
poteaux
grimaçants
qui
gesticulent
et
les
étranglent
Le
monde
s'étire
s′allonge
et
se
retire
comme
un
accordéon
Qu'une
main
sadique
tourmente
Dans
les
déchirures
du
ciel,
les
locomotives
en
furie
S′enfuient
Et
dans
les
trous,
les
roues
vertigineuses
les
bouches
les
voix
Et
les
chiens
du
malheur
qui
aboient
à
nos
trousses
Les
démons
sont
déchaînés
Ferrailles
Tout
est
un
faux
accord
Le
broun-roun-roun
des
roues
Chocs
Rebondissements
Nous
sommes
un
orage
sous
le
crâne
d'un
sourd...
"Dis,
Blaise,
sommes-nous
bien
loin
de
Montmartre?"
Mais
oui,
tu
m′énerves,
tu
le
sais
bien,
nous
sommes
bien
loin
La
folie
surchauffée
beugle
dans
la
locomotive
La
peste,
le
choléra,
se
lèvent
comme
des
braises
ardentes
Sur
notre
route
Nous
disparaissons
dans
la
guerre
en
plein
dans
un
tunnel
La
faim,
la
putain,
se
cramponne
aux
nuages
en
débandade
Et
fiente
des
batailles
en
tas
puants
de
morts
Fais
comme
elle,
fais
ton
métier...
"Dis,
Blaise,
sommes-nous
bien
loin
de
Montmartre?"
Oui,
nous
le
sommes,
nous
le
sommes
Tous
les
boucs
émissaires
ont
crevé
dans
ce
désert
Entends
les
sonnailles
de
ce
troupeau
galeux
Tomsk
Tchéliabinsk
Kainsk
Obi
Taïchet
Verkné
Oudinsk
Kourgane
Samara
Pensa-Toulone
La
mort
en
Mandchourie
Est
notre
débarcadère
est
notre
dernier
repaire
Ce
voyage
est
terrible
Hier
matin
Ivan
Oulitch
avait
les
cheveux
blancs
Et
Kolia
Nicolaï
Ivanovitch
se
ronge
les
doigts
Depuis
quinze
jours...
Fais
comme
elles,
la
Mort
la
Famine,
fais
ton
métier
Ça
coûte
cent
sous,
En
transsibérien,
ça
coûte
cent
roubles
En
fièvre
les
banquettes
et
rougeoie
sous
la
table
Le
diable
est
au
piano
Ses
doigts
noueux
excitent
toutes
les
femmes
La
Nature
Les
Gouges
Fais
ton
métier
jusqu'à
Karbine...
"Dis,
Blaise,
sommes-nous
bien
loin
de
Montmartre?"
Non
mais...
fiche-moi
la
paix...
laisse-moi
tranquille
Tu
as
les
hanches
angulaires
Ton
ventre
est
aigre
et
tu
as
la
chaude-pisse
C'est
tout
ce
que
Paris
a
mis
dans
ton
giron
C′est
aussi
un
peu
d′âme...
car
tu
es
malheureuse
J'ai
pitié
j′ai
pitié
viens
vers
moi
sur
mon
cœur
Les
roues
sont
les
moulins
à
vent
du
pays
de
Cocagne
Et
les
moulins
à
vent
sont
les
béquilles
qu'un
mendiant
Fait
tournoyer
Nous
sommes
les
cul-de-jatte
de
l′espace
Nous
roulons
sur
nos
quatre
plaies
On
nous
a
rogné
les
ailes,
Les
ailes
de
nos
sept
péchés
Et
tous
les
trains
sont
les
bilboquets
du
diable
Basse-cour
Le
monde
moderne
La
vitesse
n'y
peut
mais
Le
monde
moderne
Les
lointains
sont
par
trop
loin
Et
au
bout
du
voyage
c′est
terrible
d'être
un
homme
Avec
une
femme...
"Blaise,
dis,
sommes-nous
bien
loin
de
Montmartre?"
J'ai
pitié
j′ai
pitié
viens
vers
moi
Je
vais
te
conter
une
histoire
Viens
dans
mon
lit
Viens
sur
mon
cœur
Je
vais
te
conter
une
histoire...
Oh
viens!
viens!
Aux
Fidji
règne
l′éternel
printemps
La
paresse
L'amour
pâme
les
couples
dans
l′herbe
haute
Et
la
chaude
syphilis
rôde
sous
les
bananiers
Viens
dans
les
îles
perdues
du
Pacifique!
Elles
ont
nom
du
Phénix,
des
Marquises,
Bornéo
et
Java
Et
Célèbes
à
la
forme
d'un
chat.
Nous
ne
pouvons
pas
aller
au
japon
Viens
au
Mexique!
Sur
ses
hauts
plateaux
les
tulipiers
fleurissent
Les
lianes
tentaculaires
sont
la
chevelure
du
soleil
On
dirait
la
palette
et
les
pinceaux
d′un
peintre
Des
couleurs
étourdissantes
comme
des
gongs,
Rousseau
y
a
été
Il
y
a
ébloui
sa
vie
C'est
le
pays
des
oiseaux
L′oiseau
du
paradis,
l'oiseau-lyre
Le
toucan,
l'oiseau
moqueur
Et
le
colibri
niche
au
cœur
des
lys
noirs
Viens!
Nous
nous
aimerons
dans
les
ruines
majestueuses
D′un
temple
aztèque
Tu
seras
mon
idole
Une
idole
bariolée
enfantine
un
peu
laide
Et
bizarrement
étrange
Oh
viens!
Si
tu
veux
nous
irons
en
aéroplane
et
nous
survolerons
Le
pays
des
mille
lacs,
Les
nuits
y
sont
démesurément
longues
L′ancêtre
préhistorique
aura
peur
de
mon
moteur
J'atterrirai
Et
je
construirai
un
hangar
pour
mon
avion
avec
les
os
Fossiles
de
mammouth
Le
feu
primitif
réchauffera
notre
pauvre
amour
Samowar
Et
nous
nous
aimerons
bien
bourgeoisement
Près
du
pôle
Oh
viens!
Elle
dort.
Elle
dort
Et
de
toutes
les
heures
du
monde
Elle
n′en
a
pas
gobé
une
seule
Tous
les
visages
entrevus
dans
les
gares
Toutes
les
horloges
L'heure
de
Paris
l′heure
de
Berlin
L'heure
de
St
Pétersbourg
et
l′heure
de
toutes
les
gares
Et
à
Oufa,
le
visage
ensanglanté
du
canonnier
Et
le
cadran
bêtement
lumineux
de
Grocho
Et
l'avance
perpétuelle
du
train
Tous
les
matins
on
met
les
montres
à
l'heure
Le
train
avance
et
le
soleil
retarde
Rien
n′y
fait,
j′entends
les
cloches
sonores
Le
gros
bourdon
de
Notre
- Dame
La
cloche
aigrelette
du
Louvre
qui
sonna
la
Barthélemy
Les
carillons
rouillés
de
Bruges-la-Morte
Les
sonneries
électriques
de
la
bibliothèque
De
New-York
Les
campagnes
de
Venise
Et
les
cloches
de
Moscou,
l'horloge
de
la
Porte
- Rouge
Qui
me
comptait
les
heures
quand
j′étais
dans
un
bureau
Et
mes
souvenirs
Le
train
tonne
sur
les
plaques
tournantes
Le
train
roule
Un
gramophone
grasseye
une
marche
tzigane
Et
le
monde,
comme
l'horloge
du
quartier
juif
de
Prague,
Tourne
éperdument
à
rebours.
Effeuille
la
rose
des
vents
Voici
que
bruissent
les
orages
déchaînés
Les
trains
roulent
en
tourbillon
sur
les
réseaux
enchevêtrés
Bilboquets
diaboliques
Il
y
a
des
trains
qui
ne
se
rencontrent
jamais
D′autres
se
perdent
en
route
Les
chefs
de
gare
jouent
aux
échecs
Tric
- trac
Billard
Caramboles
Paraboles
La
voie
ferrée
est
une
nouvelle
géométrie
Syracuse
Archimède
Et
les
soldats
qui
l'égorgèrent
Et
les
galères
et
les
vaisseaux
Et
les
engins
prodigieux
qu′il
inventa
Et
toutes
les
tueries
L'histoire
antique
L'histoire
moderne
Les
tourbillons
Les
naufrages
Même
celui
du
Titanic
que
j′ai
lu
dans
le
journal
Autant
d′images
- associations
Que
je
ne
peux
pas
développer
dans
mes
vers
Car
je
suis
encore
fort
mauvais
poète
Car
l'univers
me
déborde
Car
j′ai
négligé
de
m'assurer
Contre
les
accidents
de
chemin
de
fer
Car
je
ne
sais
pas
aller
jusqu′au
bout
Et
j'ai
peur.
J′ai
peur
Je
ne
sais
pas
aller
jusqu'au
bout
Comme
mon
ami
Chagall
Je
pourrais
faire
une
série
de
tableaux
déments
Mais
je
n'ai
pas
pris
de
notes
en
voyage
"Pardonnez-moi
mon
ignorance
Pardonnez-moi
de
ne
plus
connaître
L′ancien
jeu
des
vers"
Comme
dit
Guillaume
Apollinaire
Tout
ce
qui
concerne
la
guerre
On
peut
le
lire
dans
les
Mémoires
de
Kouropatkine
Ou
dans
les
journaux
japonais
Qui
sont
aussi
cruellement
illustrés
A
quoi
bon
me
documenter
Je
m′abandonne
Aux
sursauts
de
ma
mémoire...
À
partir
d'Irkountsk
le
voyage
devint
Beaucoup
trop
lent
beaucoup
trop
long
Nous
étions
dans
le
premier
train
Qui
contournait
le
lac
Baïkal
On
avait
orné
la
locomotive
de
drapeaux
Et
de
lampions
et
nous
avions
quitté
la
gare
Aux
accents
tristes
de
l′hymne
au
Tzar.
Si
j'étais
peintre
Je
déverserais
beaucoup
de
rouge,
Beaucoup
de
jaune
sur
la
fin
de
ce
voyage
Car
je
crois
bien
que
nous
étions
tous
un
peu
fous
Et
qu′un
délire
immense
ensanglantait
les
faces
énervées
De
mes
compagnons
de
voyage
Comme
nous
approchions
de
la
Mongolie
Qui
ronflait
comme
un
incendie.
Le
train
avait
ralenti
son
allure
Et
je
percevais
dans
le
grincement
perpétuel
des
roues
Les
accents
fous
et
les
sanglots
d'une
éternelle
liturgie
J′ai
vu
J'ai
vu
les
trains
silencieux
les
trains
noirs
Qui
revenaient
de
l'Extrême-Orient
Et
qui
passaient
en
fantômes
Et
mon
œil,
comme
le
fanal
d′arrière,
Court
encore
derrière
ces
trains
À
Talga
Cent
mille
blessés
agonisaient
Faute
de
soins
J′ai
visité
les
hôpitaux
de
Kranoïarsk
Et
à
Khilok
nous
avons
croisé
un
long
convoi
De
soldats
fous
J'ai
vu
dans
les
lazarets
Des
plaies
béantes
des
blessures
Qui
saignaient
à
pleines
orgues
Et
les
membres
amputés
dansaient
autour
Ou
s′envolaient
dans
l'air
rauque
L′incendie
était
sur
toutes
les
faces
dans
tous
les
cœurs
Des
doigts
idiots
tambourinaient
sur
toutes
les
vitres
Et
sous
la
pression
de
la
peur
Les
regards
crevaient
comme
des
abcès
Dans
toutes
les
gares
on
brûlait
tous
les
wagons
Et
j'ai
vu
J′ai
vu
des
trains
de
soixante
locomotives
Qui
s'enfuyaient
à
toute
vapeur
Pourchassés
par
les
horizons
en
rut
Et
des
bandes
de
corbeaux
qui
s'envolaient
Désespérément
après
Disparaître
Dans
la
direction
de
Port
- Arthur.
À
Tchita
nous
eûmes
quelques
jours
de
répit
Arrêt
de
cinq
jours
vu
l′encombrement
de
la
voie
Nous
le
passâmes
chez
Monsieur
Iankéléwitch
Qui
voulait
me
donner
sa
fille
unique
en
mariage
Puis
le
train
repartit.
Maintenant
c′était
moi
qui
avais
pris
place
au
piano
Et
j'avais
mal
aux
dents
Je
revois
quand
je
veux
cet
intérieur
si
calme
Le
magasin
du
Père
et
les
yeux
de
sa
fille
Qui
venait
le
soir
dans
mon
lit
Moussorgsky
Et
les
lieder
de
Hugo
Wolf
Et
les
sables
du
Gobi
Et
à
Khaïlar
une
caravane
de
chameaux
blancs
Je
crois
bien
que
j′étais
ivre
Durant
plus
de
cinq
cents
kilomètres
Mais
j'étais
au
piano
et
c′est
tout
ce
que
je
vis
Quand
on
voyage
on
devrait
fermer
les
yeux
Dormir
J'aurais
tant
voulu
dormir
Je
reconnais
tous
les
pays
les
yeux
fermés
à
leur
odeur
Et
je
reconnais
tous
les
trains
au
bruit
qu′il
font
Les
trains
d'
Europe
sont
à
quatre
temps
Tandis
que
ceux
d'
Asie
sont
à
cinq
ou
sept
temps
D′autres
vont
en
sourdine
sont
des
berceuses
Et
il
y
en
a
qui
dans
le
bruit
monotone
des
roues
Me
rappellent
la
prose
lourde
de
Maeterlinck
J′ai
déchiffré
tous
les
textes
confus
des
roues
Et
j'ai
rassemblé
les
éléments
épars
d′une
violente
beauté
Que
je
possède
Et
qui
me
force.
Tsitsika
et
Kharbine
Je
ne
vais
pas
plus
loin
C'est
la
dernière
station
Je
débarquai
à
Kharbine
comme
on
venait
de
mettre
Le
feu
au
bureau
de
la
Croix
- Rouge.
O
Paris
Grand
foyer
chaleureux
avec
les
tisons
entrecroisés
De
tes
rues
et
tes
vieilles
maisons
Qui
se
penchent
au-dessus
et
se
réchauffent
Comme
des
aïeules
Et
voici
des
affiches,
du
rouge
du
vert
Multicolores
comme
mon
passé
bref
Du
jaune
Jaune
La
fièvre
couleur
des
romans
de
la
France
à
l′étranger.
J'aime
me
frotter
dans
les
grandes
villes
Aux
autobus
en
marche
Ceux
de
la
ligne
Saint
Germain
- Montmartre
M′emportent
à
l'assaut
de
la
Butte
Les
moteurs
beuglent
comme
les
taureaux
d'or
Les
vaches
du
crépuscule
broutent
le
Sacré
- Cœur
O
Paris
Gare
centrale
débarcadère
des
volontés
Carrefour
des
inquiétudes
Seuls
les
marchands
de
couleurs
Ont
encore
un
peu
de
lumière
sur
leur
porte
La
compagnie
internationale
des
Wagons-lits
Et
des
Grands
Express
Européens
M′a
envoyé
son
prospectus:
C′est
la
plus
belle
église
du
monde
J'ai
des
amis
qui
m′entourent
comme
des
garde-fous
Ils
ont
peur
quand
je
pars
que
je
ne
revienne
plus
Toutes
les
femmes
que
j'ai
rencontrées
Se
dressent
aux
horizons
Avec
les
gestes
piteux
et
les
regards
tristes
Des
sémaphores
sous
la
pluie:
Bella,
Agnès,
Catherine
Et
la
mère
de
mon
fils
en
Italie
Et
celle,
la
mère
de
mon
amour
en
Amérique
Il
y
a
des
cris
de
sirène
qui
me
déchirent
l′âme
Là-bas
en
Mandchourie
un
ventre
tressaille
encore
Comme
dans
un
accouchement
Je
voudrais
Je
voudrais
n'avoir
jamais
fait
mes
voyages
Ce
soir
un
grand
amour
me
tourmente
Et
malgré
moi
je
pense
à
la
petite
Jehanne
de
France.
C′est
par
un
soir
de
tristesse
Que
j'ai
écrit
ce
poème
en
son
honneur
Jeanne
La
petite
prostituée
Je
suis
triste
je
suis
triste
J'irai
au
" Lapin
agile
"
Me
ressouvenir
de
ma
jeunesse
perdue
Et
boire
des
petits
verres
Puis
je
rentrerai
seul
Paris
Ville
de
la
Tour
unique
Du
grand
Gibet
Et
de
la
Roue.
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